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troubles alimentaires et relation d'emprise conjugale ou familiale

Le 17 janvier 2022
troubles alimentaires et relation d'emprise conjugale ou familiale
Quel est le lien entre troubles alimentaires, addictions et emprise familiale ou conjugale ? Pourquoi et comment se libérer de celles-ci ? La théorie polyvagale donne des pistes de compréhension et de rétablissement. L'histoire de Florence l'illustre.

Les troubles alimentaires, anorexie, boulimie avec ou sans vomissements, hyperphagie, grignotages compulsifs sont des comportements fréquents chez les victimes de relations d'emprise. Ces troubles sont la manifestation d'une tentative de survie face à la négligence, face à la violence psychologique, verbale, physique, sexuelle ou économique dans la relation d'emprise conjugale ou familiale. Pourquoi et comment s'en libérer ? Voici quelques pistes de réflexion sur base de la théorie polyvagale de Stephen Porgès, chercheur et professeur de psychiatrie à l'Université de Maryland (USA).

A. Fonction des troubles alimentaires

Les troubles alimentaires apparaissent fréquemment dans une relation d'emprise conjugale ou familiale. Ils sont une tentative de survie de l'organisme face à l'insécurité que ressent la personne aux prises avec des violences ou des négligences affectives.

Florence souffre d’un trouble du stress post-traumatique complexe avec des troubles alimentaires (boulimie). Elle a 64 ans. Elle est une enseignante en mathématiques à la retraite. Elle a été mariée deux fois et a divorcé. Elle a souffert de violences conjugales, d’une relation d’inceste avec son père, son frère et de maltraitances dans l’enfance de la part de sa famille. Ses parents ne lui donnaient ni affection, ni réconfort, ni encouragements. Par contre, ils lui infligeaient des punitions violentes. Elle n’avait pas de chambre et son père comme son frère avaient accès à elle facilement quand elle dormait. Elle était réveillée par leurs agressions sexuelles. Elle a un frère aîné, quatre ans plus âgé qu’elle. Son père, militaire, fut violent physiquement et psychologiquement avec la mère de Florence ainsi qu’avec elle : dénigrements, humiliations, culpabilisations, coups, gifles,…etc. Son frère a tenté une fois de l’étrangler. Ce climat la figeait de terreur. La mère de Florence reproduisait avec Florence ce qu’elle subissait de son mari. Il a exercé sur elle une emprise. Florence n’était pas désirée et l’a ressenti toute son enfance. Elle s’est coupée d’elle-même pour survivre en développant un faux-self, une attitude d’enfant parfaite, réussissant tout ce qu’elle faisait, avec d’excellents points à l’école. Mais, elle a développé des troubles alimentaires, anorexie, puis boulimie pour anesthésier la souffrance insupportable. Adolescente, elle a dû soutenir psychologiquement sa mère en dépression et elle a souffert de cette parentification. Elle jouait aussi le rôle de médiatrice au sein de cette famille très violente. Sa mère a manifesté de plus en plus de jalousie envers elle durant son adolescence, jusqu’à la traiter de « putain » par rapport à ses choix vestimentaires. Elle a fui la maison paternelle par le mariage, tellement elle se sentait en danger. Son mari était plus âgé qu’elle de onze ans, grand et fort. Il la sécurisait physiquement. Mais, sur le plan psychologique, il la dominait, car elle était restée fragile, coupée d’elle-même, dans son faux-self. Puis, elle a divorcé quatre ans plus tard. Elle est restée seule quelques années, puis elle a rencontré le père de son fils et a vécu une relation de couple avec lui pendant dix ans. Comme il exerçait une relation d’emprise sur elle, Florence l’a fui également lorsque son fils avait huit ans. Elle s’est alors centrée sur sa réalisation professionnelle et sur son fils, réussissant par ce processus de sublimation intellectuelle à se protéger de sa détresse niée. Les relations avec les hommes furent nombreuses et non investies affectivement. Par la suite, elle a rencontré son second mari, lagopède et artiste. Elle s’est investie alors affectivement et a été pour lui une ressource en termes de stratégies relationnelles. Elle a adopté envers lui un rôle maternel, sauveur, comme pour réparer l’absence de relation maternelle précoce : rassurer, être altruiste et généreuse. Mais, celui-ci a exercé aussi une emprise sur elle. Cet investissement affectif ne lui a pas permis de percevoir l’emprise. Elle était d’autant plus fragile qu’elle subissait un harcèlement dans son travail d’enseignante l’amenant à la retraite anticipée. Son faux self n’a pas pu se maintenir. Epuisée, elle a souffert énormément de la violence psychologique de son compagnon : silences radio, culpabilisations, dénigrements. Elle a reconnu plus tard en lui la personnalité perverse narcissique. 

Elle a consulté une première psychothérapeute. Elle a appris et a développé une activité secondaire, le Reiki. Elle pratique toujours actuellement cette activité. Son activité d’enseignante, son travail avec les étudiants fut pour elle une ressource importante. L’école était un lieu sécurisant pour elle. Ses ressources spirituelles lui a permis de retrouver un équilibre à travers l’apprentissage et la pratique du Reiki. Ses ressources intellectuelles importantes l’ont aidée à comprendre le dysfonctionnement familial, les relations d’emprise, la maltraitance qu’elle avait subie dans l’enfance. Elles lui ont permis d’échapper au milieu parental avec des études brillantes, mais aussi de soutenir par la sublimation son moi brisé. Les ressources de la nature l’ont beaucoup aidée à se relier à plus grand qu’elle pour moins souffrir. Elle a vécu des relations d’attachement insécures avec les hommes oscillant de l’attachement insécure anxieux (dépendance) à l’attachement insécure évitant (absence d’investissement affectif, méfiance). A 42 ans, elle a pu se rebeller contre ses parents agresseurs et leur exprimer sa colère. Mais, sa douleur insupportable et son insécurité profonde l’ont poussée dans la dépression et les troubles du comportement alimentaire. 

Avec la psychothérapie EMDR, Florence a pu créer des ressources en elle, un sentiment de sécurité, entrer en relation avec la petite fille terrorisée en elle et la réconforter, plutôt que de recourir à la crise de boulimie. Elle a pu davantage apaiser ses angoisses, prendre davantage soin de son corps. Elle a pris conscience des parties d’elle qui l’avaient aidée à survivre. La part combative, toujours en contrôle, l’avait aidée à gérer sa vie professionnelle, comme une femme indépendante, apparemment sûre d’elle, exerçant son autorité avec force, mais avec bienveillance sur ses élèves. Cette partie lui interdisait de pleurer et était phobique à l’égard de la partie sensible. Celle qui prenait la fuite la poussait dans ses crises de boulimie pour anesthésier sa terreur, sa tristesse et sa colère. Ces crises lui permettaient de se réconforter. Celle qui était figée de terreur face à l’inceste et aux violences de son enfance la rendait incapable d’identifier les hommes agresseurs. Elle la paralysait et la rendait impuissante à agir pour s’affirmer face à eux. Elle a subi l’emprise durant des années dans un état de sidération. Une autre partie d’elle, la petite fille sensible, attendait l’amour parental quelle n’avait pas reçu. Mais, Florence la niait et adoptait un comportement de sauveur, étant très compatissante et généreuse avec les hommes. 

Elle a pu progressivement sortir de son état dissociatif et se libérer de ses troubles alimentaires avec la psychothérapie EMDR et découvrir son vrai moi. Cet état dissociatif avait fragilisé sa santé, car les tensions internes étaient telles qu’elle souffrait d’hypertension artérielle et a eu une crise cardiaque. Même à ce moment là, sa partie émotionnelle protectrice était intervenue pour « gérer » tout, dire aux infirmiers de fermer les radiateurs, par exemple, contacter ses proches, organiser son hospitalisation, …etc.

Les états de survie visent à retrouver un équilibre interne : apaiser le corps en alerte face au stress, submergé par l'afflux d'hormones du stress (cortisol, adrénaline ou noradrénaline).

Selon la théorie polyvagale de Stephen Porgès, l'organisme réagit face au danger par trois mécanismes de survie : combattre, fuir ou se figer. La fuite peut se traduire par le recours à des addictions afin d'anesthésier le corps (troubles alimentaires, drogues, médicaments, addictions à internet, au travail, recherche de sensations fortes, ...etc).

La personne tente ainsi de réguler son système nerveux afin de retrouver un lien avec son environnement. Selon Stephen Porgès "on n'existe qu'en relation avec le monde".

La victime de violences ou de négligences affectives essaye de s'adapter à cet environnement dysfonctionnel pour survivre, car elle n'a pas trouvé d'autres moyens de trouver son équilibre. S'il s'agit d'un enfant sous emprise, le parent peut l'isoler et l'empêcher de trouver des ressources internes, externes pour identifier les violences ou les négligences de la relation d'emprise familiale. Il l'éduque à nier ses émotions et ses besoins afin de le dominer. Il ne lui autorise pas l'autonomie et lui interdit d'être lui-même. L'attachement insécurisant que cela suscite ne permet pas la corégulation nécessaire à l'épanouissement de l'enfant. Si le parent n'exerce pas cette corégulation des émotions de l'enfant, celui-ci doit faire face à une souffrance insupportable. Il se sent seul, abandonné ou rejeté. Il peut craindre de déplaire, fuit le conflit, tente d'être "gentil" et de satisfaire le parent afin d'obtenir la sécurité dont il a besoin. Mais, ce parent vise à renforcer son emprise en exigeant que l'enfant satisfasse ses besoins. Cette inversion des rôles crée une détresse chez l'enfant. Les troubles alimentaires viennent l'éteindre. Ils ont pour fonction d'engourdir le corps pour ne plus ressentir la peur, l'angoisse ou la terreur liée à cette relation insécurisante. La personne ne peut s'en libérer tant qu'elle n'a pas trouvé des ressources internes ou externes qui puissent l'aider à percevoir l'agression (l'anesthésie empêche la perception du problème), à identifier le vécu intérieur et à agir pour s'en libérer. C'est le système nerveux sympathique qui est activé pour fuir. Mais, l'afflux d'adrénaline et de cortisol rend la respiration courte, superficielle, augmente le rythme cardiaque. Le calme intérieur est difficile à atteindre. L'immunité est affaiblie. Les relations sont perturbées. L'estime de soi et la confiance en soi chutent. A long terme, l'obésité et le diabète, les maladies inflammatoires risque de mettre la victime en danger. Les conséquences sur la santé sont parfois plus coûteuses que la protection que les addictions offrent ponctuellement.

B. Comment se libérer de ces troubles alimentaires ?

"Tenter d'éradiquer" les troubles alimentaires par des régimes sans succès, sans identifier le dysfonctionnement de la relation d'emprise conjugale ou familiale, peut être encore plus dangereux à long terme, car l'enfant ou l'adulte, en état de survie, perd sa seule protection. Les troubles alimentaires peuvent s'aggraver ou bien, les mécanismes de survie se modifient et l'enfant peut recourir aux mécanismes de combat ou de figement. S'il choisit le combat, il mobilise son système nerveux sympathique. Il peut ainsi s'agresser (tentative de suicide, auto-critique permanente, culpabilité accrue) ou agresser (violences verbales, physiques, psychologiques imitant l'agresseur). il peut tenter de tout contrôler dans son environnement et perturber encore davantage ses relations. Ou bien, il peut recourir à son système vagal parasympathique : se figer, se replier dans son monde, se montrer inaccessible, immobile, souffrir de fatigue, de dépression, ...etc.

Pour éviter cette aggravation de son état, il est plus utile que la victime se concentre sur l'activation de son système parasympathique ventral. Celui-ci permet d'améliorer la santé : meilleure respiration, rythme cardiaque régulé, capacité à reconnaître son vécu et les signes de danger, d'insécurité, trouver des ressources internes et externes, pouvoir demander de l'aide et retrouver des liens d'attachement sécurisants.

Cette possibilité est accessible en renforçant les ressources du corps. L'exercice de la cohérence cardiaque peut aider en développant une respiration qui facilite l'expiration profonde en cas de stress, ou l'inspiration plus importante en cas de fatigue ou d'inhibition. Activer le nerf vagal peut également aider le corps à rétablir sa sécurité : trouver les sources de bien-être en soi et autour de soi. Développer la capacité d'observation de ses états internes peut aider la victime à retrouver un équilibre. Est-elle dans la fuite, le combat ou le figement ? Que ressent-elle comme sensations, comme émotions ? Il s'agit d'identifier la peur qui correspond à cet état : peur de l'humiliation face aux violences verbales ou psychologiques, peur de l'abandon ou du rejet face aux négligence, peur de mourir face à la violence physique, ... ?

Ensuite, la personne peut mobiliser les ressources découvertes par l'accès à l'état parasympathique ventral afin de répondre aux besoins frustrés liés aux peurs identifiées.

Le dialogue interne avec ces trois parts de soi permet à la victime de rétablir son équilibre physique, psychologique et relationnel. Il peut y avoir conflit entre ces trois parts. La victime peut apprendre à développer de la bienveillance et de la compassion pour ces mécanismes de protection, particulièrement quand elle recourt à nouveau à son addiction. Elle reconnaît que ce mécanisme l'a aidée à survivre, mais qu'il n'est plus adapté actuellement. Elle peut répondre à la part sensible et blessée d'elle-même, l'enfant intérieur, en exprimant ce que celui-ci aurait eu besoin d'entendre ou de vivre à l'époque de l'agression. Elle négocie avec ses parts internes afin de trouver d'autres solutions plus bénéfiques à son épanouissement. Cette intégration des parts d'elle-même peut l'aider à s'affirmer, à poser ses limites pour se libérer de l'emprise conjugale ou familiale.

c. contact

Si cela vous parle, vous pouvez contacter Christine Calonne, psychologue et psychothérapeute à Namur et à Liège : + 32 42 90 58 14.