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Prédation perverse narcissique et société actuelle : se libérer, se reconstruire

Le 25 avril 2021
Prédation perverse narcissique et société actuelle : se libérer, se reconstruire
Quelles sont les conditions favorables dans notre société moderne à la prédation perverse narcissique ? Comment repérer les stratégies perverses et narcissiques ? Comment se libérer du harcèlement moral et se reconstruire après l'emprise ?

A. Qu'est-ce que la perversion narcissique ?

La perversion narcissique est un trouble de personnalité qui se base sur le déni de la réalité, particulièrement la réalité de la mort, du vieillissement, de la souffrance, de la perte et du manque. Mais, ce déni concerne aussi la loi, la différence des générations, la différence en général, ...etc. Le pervers narcissique ne reconnaît pas l'autre dans sa différence, car elle représente une menace pour sa toute-puissance narcissique. Celle-ci correspond au culte de la virilité, une survalorisation de la dureté, de l'insensibilité, du pouvoir et du combat. Le culte de la virilité signifie, selon Christophe Desjours ("Souffrance en France"), la mise en évidence de la force violente pour s'imposer et se faire valoir dans notre société patriarcale. Elle se distingue de la masculinité comme capacité à se dépasser et à s'affranchir. La perversion narcissique est un narcissisme pathologique, défini par le DSM5 comme une recherche illimitée de pouvoir, de splendeur, de beauté ou d'amour idéal, un sens grandiose de sa propre importance (surestime de soi), le sentiment d'être spécial et de ne pouvoir être admis ou compris que par des gens spéciaux, de haut niveau, un besoin excessif d'admiration, le sentiment que tout est dû, l'exploitation de l'autre, le manque d'empathie, l'envie et le sentiment que les autres l'envient, l'arrogance et le mépris. On peut reconnaître dans la dimension perverse des traits repris dans le DSM5 comme antisociaux : la tendance à tromper, l'absence de remords et de culpabilité.

Le pervers narcissique envie l'autre pour les qualités et ressources qu'il n'a pas. Cette envie le pousse à détruire l'identité de sa proie par des micro-violences quotidiennes et grâce à sa capacité à inverser les rôles. Mais, il la séduit d'abord par ses attributs de pouvoir ou en se présentant en victime selon son interlocuteur. Ensuite, il l'envahit et la domine. Cette emprise lui permet de l'isoler, de la vampiriser. Son égocentrisme ne lui donne pas la capacité d'aimer et d'être empathique. Il utilise comme arme de séduction et de destruction, l'usage de la parole, la persuasion, la rhétorique, les techniques de communication qui permettent de manipuler sans souci de l'autre. Il ne supporte pas le bien-être d'autrui et éprouve un soulagement morbide à voir l'autre au plus bas. Il maîtrise l'art de savoir jusqu'où aller dans sa destruction pour maintenir l'emprise. Psycho-rigide, il impose une discipline de fer. Cette mentalité anti-vie s'accompagne de la perception du monde comme dangereux, mauvais et cruel, une perception de l'autre comme un ennemi potentiel (son angoisse paranoïaque).

Des facteurs familiaux et sociaux créent les conditions favorables à l'accroissement de ce trouble de personnalité, particulièrement depuis une dizaine d'années. Selon Dominique Barbier, psychiatre, le pourcentage actuel serait de 25 à 30% ("La fabrique de l'homme pervers"). "La perversion ordinaire" de J.P. Lebrun décrit le monde moderne et ses caractéristiques perverses.

B. Quelles sont les conditions sociales favorables à la perversion narcissique ?

Notre société patriarcale valorise le culte de la virilité, le pouvoir sur la vie, sur la dimension sensible, sur la femme, les enfants, la nature. Le cartésianisme, le scientisme, le culte de l'argent est devenu la nouvelle religion. Dieu serait mort, mais de nouveaux dieux l'ont remplacé, autorisant la corruption, le pillage, l'exploitation et la destruction de la terre (Pierre Rabhi "Vers la sobriété heureuse"). La science et les nouvelles technologies servent le mythe de l'éternelle jeunesse et le déni de la réalité propre au pervers narcissique. La loi du marché au niveau mondial favorise également le renforcement d'un mythe de guerre économique (Ch. Lasch "La culture du narcissisme")  et des comportements de prédation, sans éthique. La loi du marché fait loi et M.F.Hirigoyen dénonce ces caractéristiques prédatrices typiques du pervers narcissique dans notre société moderne ("Le harcèlement moral"). Ce mythe justifierait des méthodes cruelles dans le monde du travail (Ch. Desjours "Souffrance en France"), excluant ceux qui ne sont pas assez compétitifs et performants, exploitant les individus jusqu'à l'épuisement des ressources humaines, la négation de la vie privée, de la souffrance au travail (peur de commettre une erreur, peur de ne plus être compétent, d'être contraint à mal travailler par manque d'outils, de moyens, de personnel). Le manque de reconnaissance des efforts fournis et le manque de respect de la personne favorise des comportements de harcèlement moral (atteinte répétée à la dignité et à l'intégrité psychique). Le matérialisme domine avec la perte des valeurs humaines, du symbolique, du spirituel, le déni de l'intériorité. La marchandisation des êtres, objets à consommer et à jeter les réduit à l'état d'objet à consommer, puis à jeter. La toute-puissance prend le pas sur la reconnaissance du manque, de la perte et encourage des comportements "tout, tout de suite", l'incapacité à différer, à apprendre. La pensée créatrice, réflexive et critique se réduit à une pensée unique, binaire, rationnelle, psychorigide et totalitaire. Elle oriente vers une représentation de "l'homme-robot", décrite par le transhumanisme de Klaus Schwab, comme l'homme futur dans une société faite d'objets interconnectés où l'humain a perdu sa subjectivité. Le pervers narcissique veut faire de sa proie un robot à son service. Il est bien accueilli dans ce monde, car il prône la rentabilité à court terme. La prédation perverse narcissique engendre l'exploitation des ressources humaines et naturelles sans empathie, sans culpabilité. Le pervers narcissique séduit par sa surestime de lui, son contrôle stoïque de lui-même, mais ses fausses valeurs ne servent que ses intérêts propres. Si quelqu'un lui fait de l'ombre, il est prêt à tout pour le détruire, quitte à détruire la société dans laquelle il évolue, en quête de pouvoir personnel. Il harcèle sa proie en la poussant à bout pour qu'elle démissionne (l'isoler, la nier, bloquer ses initiatives, réduire ses outils de travail, supprimer ses congés, ses avantages, par exemple), en refusant le dialogue (rompre les liens, diffamer, désinformer), en exerçant sur elle des micro-violences quotidiennes (pointer l'erreur, ne jamais féliciter, mettre en dette, diviser pour régner, exiger la perfection, n'avoir aucune empathie, culpabiliser, dénigrer). Le culte de l'image et de l'éternelle jeunesse présente dans notre société marchande est bien utilisé par le pervers narcissique pour faire croire qu'il a des valeurs, séduire par sa maîtrise des techniques de communication, mais dans un objectif de prédation : calcul, mensonge, flatterie, corruption, désinformation, doubles messages, menace, chantage, isolement, dénigrement, culpabilisation, morcellement de l'information, entretenir la peur, persuader, diffamer, ...etc. 

C. Comment se libérer de l'emprise et se reconstruire ?

Le pervers narcissique a repéré les failles de la victime et a pu s'approprier son psychisme pour la dominer. Sortir de l'emprise nécessite souvent un événement de trop, la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Recourir à des ressources externes peut aider la victime à reconnaître ses blessures, les conséquences douloureuses du harcèlement au niveau du corps, de l'esprit, en termes de pertes financières, relationnelles, matérielles, ...etc. Cette reconnaissance positive d'autrui est le premier pas vers la guérison. La reconstruction nécessite des soins psycho-corporels et une psychothérapie spécialisée dans le traitement des traumatismes. La victime peut entamer les démarches pour retrouver sa sécurité interne et externe. Elle peut réapprendre à s'estimer, à être bienveillante, empathique et compatissante envers elle-même, car elle a intériorisé des traits de son agresseur. Réapprendre à consoler certaines parts d'elle-même en souffrance, à identifier ses sensations, ses émotions, ses besoins, pour s'apaiser peut l'aider à se reconnecter à soi, à mieux réguler ses émotions.

Elle peut réparer son moi brisé par le recours aux ressources internes toujours présentes en elle, mais enfouies dans son inconscient. Elle renforce ainsi petit à petit ses capacités au bien-être, à  la joie, au bonheur, niées par le pervers narcissique. Elle découvre à nouveau les activités agréables qu'elle avait mises de côté et qui la rendaient heureuse avant la rencontre. La reconstruction passe aussi par le rétablissement d'une relation harmonieuse et bienveillante avec son corps. La personne comprend mieux ses sensations pénibles et peut doucement s'en libérer. Petit à petit, la victime reconstruit son identité et retrouve sa subjectivité. Elle peut mieux discerner ce qui lui convient et orienter son attention vers ce qui l'épanouit, vers ce qui est beau et bon pour elle.

L'apprentissage de la contre-manipulation, de stratégies émotionnelles favorise la mise de limites, l'apaisement, la résolution des problèmes et le renforcement des ressources internes. Cet apprentissage est indispensable dans le processus de rétablissement de l'identité de la victime. Il permet de retrouver sa subjectivité, son esprit critique, son intériorité.

Le retraitement des traumatismes psychiques laissés par les micro-violences du pervers narcissique peut alors commencer, afin de ne plus être victime d'un nouveau prédateur. La psychothérapie EMDR peut aider à se libérer et se reconstruire.

La victime peut progressivement rétablir une relation de confiance en l'humain, en la vie. Mon prochain livre "Les victimes de pervers narcissique, guérir le traumatisme" aborde ce processus de reconstruction. Il sera publié en septembre 2021 aux éditions Ellipses dans la collection 100 questions/réponses.

Un changement de paradigme au niveau sociétal nécessite de prioriser les valeurs humaines, l'éthique, le droit, le respect et la protection de la vie, l'acceptation de la finitude, de la mort et de la souffrance. Rétablir l'harmonie en soi entre le masculin et le féminin, entre la sensibilité, l'intériorité et l'action peut aider chacun, mais aussi le système social à évoluer vers plus de respect des libertés et de la subjectivité. Augmenter la conscience de soi, du lien aux autres et à la terre peut contribuer à cet objectif vital pour notre avenir et celui de nos enfants. Renforcer les structures d'aide aux victimes, au développement de soi, de l'intériorité peut favoriser ce développement de la conscience individuelle et collective. Cultiver les liens humains réels est également vital pour rétablir notre santé psychologique et physique, éviter qu'un dictateur ne se présente en sauveur dans une société en crise.