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Perversion narcissique ? Quelques à priori fréquents à clarifier

Le 09 février 2020
Perversion narcissique ? Quelques à priori fréquents à clarifier
Voici quelques à priori au sujet de la perversion narcissique qui apparaissent fréquemment, contre la validation d'un tel concept, par ailleurs étudié et observé actuellement dans les universités, la clinique du psychothérapeute.

Le terme perversion narcissique est souvent mal compris ou ridiculisé à cause de certains à priori fréquents.

Je vais en résumer les principaux dans cet article afin de mieux comprendre et reconnaître la validité de ce concept de plus en plus étudié scientifiquement par de nombreux chercheurs.

A. L'à priori le plus fréquent "La perversion narcissique est un phénomène de mode" :

Le terme "perversion narcissique" est utilisé parfois pour accuser l'autre, que ce soit dans des conflits de couple, dans des démarches en justice, dans des conflits professionnels, ...etc. 

Cette notion rejoint alors le sens commun pour décrire l'autre comme mauvais, méchant. Il s'y ajoute une notion morale qui vise à diaboliser l'autre, à se victimiser et à ne pas se remettre en question. Le but est d'avoir raison et de "gagner" dans ce genre de conflit.

Ce phénomène de mode n'a rien à voir avec la définition scientifique de la perversion narcissique étudiée dans les universités, dans la clinique de nombreux psychothérapeutes.

Cette définition scientifique décrit un fonctionnement de personnalité, sans considérations morales ou religieuses. Ce trouble de la personnalité a été particulièrement étudié par A. Eiguer, psychanalyste, professeur et directeur de recherche à l'Université de Paris V. Eiguer rappelle que le narcissisme avec une exaltation sexuelle de soi avait été décrit par Freud, mais c'est Racamier qui a décrit le narcissisme sous sa forme désexualisée, particulièrement dans ses manifestations relationnelles pathologiques. Celles-ci se manifestent par des comportements de perversion morale, comme exercer une emprise sur l'autre visant à le réduire à un objet, instrumentalisable et exploitable à merci, ou comme attaquer le narcissisme de l'autre par des critiques de sa personne, de ses compétences, des ses croyances, de ses relations, de ses qualités, ...etc. Racamier a décrit l'incestuel associé à la perversion narcissique, un inceste sans sexualité, forme typique de relation du pervers narcissique à son enfant. Le déni d'autonomie caractérise la relation du pervers narcissique à sa proie. Son enfant est réduit à un objet, interdit de penser, de ressentir, d'agir par lui-même. L'isolement de la victime permet au pervers narcissique d'arriver à ses fins plus facilement, c'est à dire détruire l'identité de l'autre par angoisse inconsciente d'être détruit par lui, l'exploiter sans empathie ni culpabilité. Beaucoup de victimes, sous l'effet du harcèlement moral d'un pervers narcissique se suicident à petit feu (addictions, maladies psycho-somatiques, épuisement), ou dans un passage à l'acte fatal. Son efficacité redoutable vient de sa belle présentation. Le pervers narcissique ne manifeste pas d'agressivité de surface et peut ainsi séduire facilement par une fausse apparence charmante, polie, protectrice, ou bien par la victimisation visant à mettre l'autre sous emprise. Son double jeu, ses doubles messages, messages paradoxaux rendent l'autre confus, incapable de penser et manipulable. Son double visage, réussi grâce au clivage de sa personnalité (bon/mauvais) est apparent quand la victime est sous emprise : Il alterne, séduction et destruction, flatteries et critiques ad hominem, culpabilisation, fausses urgences, minimisations, dramatisation, chantage, menace, harcèlement, disparitions soudaines et d'autres techniques de manipulation dans le but de faire peur et de consolider l'emprise. Incapable de remise en question, de dialogue, il cherche constamment le pouvoir sur l'autre, avec un sentiment de supériorité, de mépris, grâce au mécanisme psychologique du déni (déni de l'autre, de la souffrance, de la différence, de la loi, ...etc) et de la projection. Il projette sur la victime le négatif nié en lui (souffrance, tristesse, peur, violence, ...etc). Il fait croire à la victime que c'est elle qui est violente, agressive, sans coeur, intéressée, ...etc. Il prive l'autre affectivement, refuse toute intimité, car il est vide intérieurement, dans le déni de toute vie psychique.

B. L'à priori souvent avancé "On ne rencontre les pervers narcissiques qu'en prison" :

Les pervers narcissiques ont un fonctionnement de personnalité très contrôlé et ne se démasquent jamais en public. Il calculent tout et ont toujours dix coups d'avance, anticipant comment l'autre peut l'anéantir. Ils sont aux antipodes d'un bon communicateur à l'écoute de l'autre.

Il est donc très difficile de prendre en flagrant délit un pervers narcissique.

De plus, il recherche le pouvoir avant toute chose, de sorte qu'il connaît très bien les lois pour les utiliser à son avantage et ne pas être démasqué.

Cette quête de pouvoir lui fait rechercher les situations sociales et professionnelles avantageuses sur le plan financier et relationnel. Ainsi, il n'est pas facilement soupçonné.

Par contre, les pervers de caractère se font plus facilement démasquer, puisqu'ils sont agressifs et impulsifs très rapidement, dès qu'on les contredit, ou lorsqu'ils sont frustrés dans la réalisation de leur objectif. Ce sont les pervers de caractère que l'on retrouve souvent en prison.

C. Un troisième à priori "Les pervers narcissiques sont des psychopathes" :

Les pervers narcissiques sont souvent confondus avec des psychopathes.

Tous deux se comportent dans la toute-puissance. Ils dominent et détruisent les autres.

Cependant, les psychopathes sont plus impulsifs, comme les pervers. Les psychopathes ne sont pas de froids calculateurs comme les pervers narcissiques.

Seul un pervers narcissique peut instrumentaliser l'autre grâce à son contrôle de lui, son esprit rationnel, son intelligence stratégique, sa froideur qui lui permet de ne pas être démasqué.

Le passage à l'acte violent est beaucoup plus fréquent chez le psychopathe.

Le psychopathe tente de ressentir quelque chose par sa violence, alors que le pervers narcissique est animé par l'envie, la jalousie pathologique, la haine froide et sans scrupules.

D. Un quatrième à priori "Tout le monde peut être pervers narcissique":

Il est important de distinguer perversion narcissique comme trouble de la personnalité présent 24h/24 chez un individu et comportements pervers narcissiques présents ponctuellement chez une personne. Ces mécanismes de défense apparaissent en cas de réactions de survie, ou en cas de dénégation face à un vécu trop difficile à vivre. Les comportements manipulateurs, les jeux de pouvoir sont présents chez toute personne qui ne peut identifier ses besoins, ses émotions et qui traverse des crises existentielles ou relationnelles. C'est une façon d'obtenir indirectement la satisfaction de ses besoins, sans y arriver. Peter Levine, psychologue, a pu observer de tels comportements chez les vétérans de la guerre du Vietnam. Ceux-ci furent soignés et libérés de leurs mécanismes de survie par la psychothérapie. Face à une perte trop douloureuse, à une crise, nous pouvons ponctuellement réagir par la dénégation et éviter un moment de faire un deuil, d'accueillir une souffrance trop grande, en adoptant des mécanismes de défense pervers ou narcissiques. Ces variantes défensives ne sont pas présentes constamment et peuvent se traiter.

Par contre, la perversion narcissique est très difficile à traiter, parce que le déni est omniprésent et constant. La croyance limitante fondatrice de la perversion narcissique est d'ailleurs :"Pour survivre dans ce monde, il faut être fort, dur, cruel". Le fonctionnement familial de la famille d'origine d'un pervers narcissique obéit à ce type de croyance fondatrice, comme dans tout totalitarisme et dans tout fonctionnement sectaire. C'est un héritage transgénérationnel où la reconnaissance de l'autre en tant que personne libre et autonome n'a pas de raison d'être. Le pervers narcissique n'a pas de demande d'aide réelle et déteste les psys pour cette raison.

Dans notre société actuelle, beaucoup de scientifiques constatent de plus en plus un virage de la névrose vers le narcissisme et les états limites. En effet, cette société du spectacle, du paraître, laisse peu de place à l'être. Elle valorise la performance et la rentabilité à court terme, la force, l'insensibilité, un rationalisme dépourvu de subjectivité, d'intériorité, un masculin pathologique, un égocentrisme et un individualisme qui laisse peu de place à l'humain. Le pervers narcissique y est bien accueilli, encensé, voire protégé.  La banalisation du mal présente dans cette société où il est devenu normal d'écraser autrui pour "réussir" et se faire valoir rend difficilement identifiable ce type de personnalité. 

Pour en savoir plus, vous pouvez lire mon dernier livre "Les pervers narcissiques, récits et témoignages", éd. Ellipses, 2019.