La fusion présente dans la relation d'emprise est la conséquence d'un processus de domination. Il commence avec la séduction et s'amplifie par le verrouillage de la relation autour d'un contrat implicite ou explicite : "Sacrifie-toi pour moi et tu seras aimé(e)". Ce contrat est présent dans le discours du manipulateur, mais c'est un contrat de dupe, car il ne donne pas ce qu'il promet. Cependant, la victime y croit, car elle en attente de cet amour qui lui a manqué dans son enfance. Elle ne perçoit pas le processus de domination qui se met en route, car elle a été réprimée dans la perception et l'expression de ce qu'elle ressent. Elle a appris à nier ses perceptions et à satisfaire les désirs de l'autre. C'est souvent la conséquence d'un trouble de l'attachement anxieux à un parent. Par angoisse d'abandon, elle renonce à exprimer et à satisfaire ses besoins. Elle s'oublie et privilégie la satisfaction des besoins de l'autre. Elle ne repère pas la manipulation présente dans l'emprise. Cependant, il est possible de traiter la manipulation en se recentrant sur soi, sur l'écoute des signaux du corps.
Lise a grandi dans un environnement familial niant ses besoins et ses émotions. Son père s'imposait en tyran domestique et voyait en sa fille sa servante. Il était dépendant de l'alcool. Sa mère souffrait d'anorexie et d'alcoolisme. Elle laissait souvent le frigo vide et le peu d'argent qui restait dans le ménage servait à utilisé pour payer les huissiers. Lise a évolué dans un climat d'insécurité, malgré le haut niveau d'études de ses parents et leur capacité à donner le change en public. Elle souffrait d'une angoisse d'abandon. A l'âge adulte, elle a reproduit ce climat d'insécurité dans sa relation de couple. Son partenaire s'est comporté comme un tyran domestique avec elle et elle était tellement angoissée qu'elle se figeait de peur. Elle ne savait pas dire "non". Elle a pris conscience de sa tyrannie progressivement, à travers les signaux de mal-être de son corps, le dépassement des limites acceptables quand il s'en est pris aux enfants. Ceux-ci ne pouvaient pas bouger et s'exprimer comme des enfants. Ceci était valable pour elle aussi. elle ne pouvait pas bouger et s'exprimer sans être critiquée. Etre soi était interdit et l'exprimer était encore davantage sanctionné. Malgré sa dépendance affective, Lise souffrait d'un étouffement intérieur. Elle souffrait des humiliations subies dans la relation d'emprise. Elle se sentait réduite à l'état d'objet. Il pensait à sa place et elle s'effaçait dans un état d'indifférenciation avec lui.
Sa révolte face aux humiliations a fini par l'emporter et Lise est sortie de la fusion avec son partenaire. Elle a quitté la maison qui appartenait à ce dernier pour reprendre possession de sa maison avec ses enfants. Celui-ci a été longtemps dans le déni et faisait constamment des tentatives de séduction pour récupérer l'emprise. Changer de domicile fut une première étape pour se libérer de l'emprise. Elle n'osait pas encore mettre des limites verbalement et elle le laissait parler parfois pendant une heure au téléphone. Elle n'arrivait pas à dire "non" par les mots, car son état de figement serrait sa gorge et paralysait son expression. La part figée de son moi vivait toujours dans le passé, dominée par son père. Elle avait peur de l'impuissance et de se sentir incapable de s'affirmer. Ces deux peurs furent travaillées en psychothérapie EMDR grâce à la mobilisation des ressources présentes dans son imaginaire, mais aussi par le développement des ressources externes, comme la pratique de la sophrologie, une activité artistique. Elle a pu ainsi verbaliser ses limites et son désaccord à un moment donné, car ses peurs avaient diminué.
La troisième des 4 étapes est la différenciation. En restant seule un moment, la victime se reconnecte à elle-même, à ses ressources, à ses émotions et à ses besoins. Elle apprend à écouter les signaux de son corps et à les respecter. Elle perçoit ses limites et les exprime. Elle écoute ses rêves et prend la responsabilité de les satisfaire.
Lise a appris durant cette étape à apaiser ses peurs autrement qu'en prenant la fuite dans la nourriture. La part fuite de son moi l'avait aidée à survivre face à l'insécurité du climat familial. Elle anesthésiait ses peurs avec des crises de boulimie. Elle a trouvé des ressources pour le apaiser et dialoguer avec la part d'elle qui prenait la fuite. Tout en la respectant, elle a pris conscience que cette solution ne lui offrait la sécurité nécessaire. Elle a pu désensibiliser les peurs de son enfance face à l'emprise de ses parents grâce à l'EMDR. Elle a appris à prendre soin de son enfant intérieure, la dimension vulnérable et émotionnelle de son moi. Elle avait appris avec son père la dureté envers soi-même, être la guerrière, en hypervigilance pour survivre. Cette dureté l'avait aidée à survivre face aux micro-violences quotidiennes du père de ses enfants et de son ex-partenaire, mais elle restait dans l'insécurité ressentie durant l'enfance. Elle a découvert la bienveillance, la douceur envers elle-même durant son processus de reconstruction afin d'apaiser les peurs en elle. Elle a appris à prendre soin d'elle comme une mère et à poser ses limites fermement comme un père juste et bienveillant.
La reconstruction progressive de son identité aide la victime à s'ouvrir à elle-même, mais aussi aux autres. Elle rétablit un lien de confiance avec son enfant intérieure et avec les autres. Elle s'affirme mieux en satisfaisant ses besoins. Elle pose mieux ses limites verbalement. Cette écoute de soi l'aide à écouter l'autre tout en se respectant. Le dialogue et la coopération remplace la relation de domination. L'interdépendance est une relation où chaque partenaire vit en tant que sujet de sa vie, un sujet libre et authentique. Cette liberté autorise chacun à s'affirmer sans que ce soit aux dépends de l'autre. L'empathie pour soi entraîne l'empathie pour l'autre et le dialogue aboutit à une négociation où chacun est satisfait. Chaque partenaire respecte son autonomie et celle de l'autre.
Lise a retrouvé son autonomie et sa capacité à se différencier. Ses relations aux autres sont devenues satisfaisantes, car elle pouvait verbaliser ses émotions, ses besoins et ses limites. Se différencier fait vivre la relation dans une recherche d'équilibre permanent entre la satisfaction de ses différents besoins et l'écoute des besoins de l'autre. Des moments avec soi alternent avec des moments consacrés à l'autre. Le sacrifice de soi laisse place à l'épanouissement de soi dans un lien de sécurité, l'interdépendance. Un questionnement quotidien sur ce qui est important pour soi favorise des relations basées le dialogue, la coopération, l'empathie plutôt que la domination et l'emprise. Etre soi est possible dans l'interdépendance, car ce lien est basé sur le respect mutuel et la coopération.
Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez l'approfondir en lisant "Les victimes de pervers narcissiques, guérir le traumatisme, 100 questions/réponses", éd. Ellipses. Vous pouvez également contacter Christine Calonne, psychologue psychothérapeute à Namur et à Charneux en Belgique, grâce à ce numéro : +32 42 90 58 14.