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Harcèlement moral au travail : la stratégie du pervers narcissique

Le 14 juillet 2020
Harcèlement moral au travail : la stratégie du pervers narcissique
Comment repérer le harcèlement moral et les stratégies du pervers narcissique ? Comment développer des stratégies pour s'en protéger en tant que victime ou en tant qu'intervenant face au harcèlement ? Voici quelques pistes.

A. La personnalité perverse narcissique au travail :

La perversion narcissique est un trouble de la personnalité associant des mécanismes de défense pervers et narcissiques avec un objectif de prédation et de destruction.

Les traits narcissiques apparaissent dans la séduction du pervers narcissique. Le but de la séduction n'est pas affectif, mais vise à mettre sous emprise, dominer, exploiter et détruire. Ces traits se manifestent par un langage flou, voire abscons, sous forme de slogans, des flatteries, un discours charismatique, marqué par le prosélytisme. Il se présente en Sauveur, l'homme ou la femme de la situation. Sauveur, il offre des cadeaux, promet des merveilles, offre une protection matérielle, financière, juridique, psychologique, administrative, ...etc. Ou bien, il formule des plaintes pour apitoyer une future victime sensible et empathique. Il force la sympathie par une apparence affable, polie, charmeuse, blagueuse et théâtrale. Il mène la conversation et peut couper souvent la parole pour y arriver. Il ne doute jamais de lui et peut impressionner avec son ego surdimensionné. Opportuniste, il s'adapte à l'autre comme un caméléon pour lui dire tout ce qu'il veut entendre. Il ment sans culpabilité, car pour lui, la fin justifie les moyens. Cela veut dire qu'il n'a pas de valeurs humaines, bien qu'il puisse faire croire qu'il en a, se montrant donneur de leçons. Il envahit l'autre dans sa vie privée, par des emails, des messages à toute heure, par sa proximité physique, par son flot de paroles. C'est une séduction froide, calculée, associée à une hypervigilance, une méfiance fondamentale. Le pervers narcissique est coupé de ses émotions et de ses traumatismes profonds. Cela lui donne la capacité de contrôler chaque geste, chaque parole afin d'installer l'emprise sur sa proie avec l'intention consciente de l'exploiter et de la détruire. Expert dans les techniques de communication, il est très persuasif afin de satisfaire ses seules préoccupations égocentriques. L'autre doit se sacrifier pour lui et le vénérer.  Il se perçoit comme un prédateur et les autres comme des proies, faibles, parce qu'elles ont des failles. Ce qu'il appelle "faiblesse", ce sont les capacités humaines d'amour, d'empathie, de compassion, de sensibilité, de coopération, ...etc. Il se considère spécial au-dessus de la condition humaine et pense que tout lui est dû. Son comportement est dépourvu d'empathie, arrogant et hautain. Son seul but est le pouvoir, avec une volonté de succès illimité, car il est toujours insatisfait. Déconnecté de la vie, il envie ses proies pleines de vie et de capacités humaines.

Les traits pervers se traduisent par une tendance à tromper pour son profit personnel ou par jouissance, à faire souffrir par des micro-violences psychologiques, verbales, physiques, sexuelles ou économiques.  Ses mensonges répétés visent à escroquer, maltraiter l'autre, avec mépris et indifférence. Il réserve cela à la victime et ne montre pas cette facette de lui publiquement. Comme il est contrôlé, il peut très bien y arriver. Irresponsable, il utilise les autres au détriment de leur santé physique, psychique ou financière, en les mettant sous terreur.

B. Le harcèlement moral du pervers narcissique :

Il se manifeste par des micro-violences au quotidien, verbales, psychologiques, physiques, économiques ou sexuelles. Elles visent à détruire l'identité de façon imprévisible, sournoise, intentionnelle, consciente et calculée. Ce sont de petites critiques perpétuelles de la façon dont l'autre parle, s'habille, pense, ressent, se comporte, des attaques de ses croyances, de ses qualités particulières, ...etc. Le pervers narcissique ne supporte pas la différence, car toute différence menace sa toute-puissance narcissique et pourrait lui faire de l'ombre. Les victimes lui font de l'ombre par leurs qualités humaines, leur éthique, leur désir de bien faire et leurs compétences. C'est pourquoi il veut assujettir sa proie et la réduire à l'état de robot, un objet à son service, pour ensuite s'en débarrasser. Irresponsable, il fait faire aux autres ce qu'il devrait faire, mais si la victime se distingue par ses performances, ses particularités personnelles et lui fait de l'ombre, il va tenter de la pousser à donner sa démission par ses micro-violences répétées.

Ce harcèlement moral porte atteinte à l'intégrité psychique et physique de la victime, par son aspect répétitif, son intensité, sa systématisation. La durée, la fréquence, la récurrence, la multiplicité des traumatismes va déterminer la gravité de l'état de la victime. La proximité de l'agresseur détermine aussi le niveau du stress post-traumatique que va vivre la victime. Si la victime, par exemple, travaille avec un membre de sa famille, le degré de proximité est plus important et l'impact du traumatisme aussi. Si celle-ci a déjà vécu dans son passé ce type de harcèlement, elle risque de tomber plus facilement sous emprise, car elle est plus fragile au niveau de son moi, de ses capacités à s'affirmer, à mettre ses limites, au niveau de la culpabilité ou du manque d'estime de soi. Ou bien, elle dispose d'une intelligence à haut potentiel, ou encore, elle a subi des traumatismes antérieurs qui la rendent hypersensible et plus vulnérable aux attaques narcissiques.

C. La stratégie du pervers narcissique au travail :

1. Pousser la victime à bout pour qu'elle donne sa démission :

Il bloque les prises d'initiatives en critiquant injustement les tâches réalisées, en réduisant les outils de travail, voire le travail de la victime. Elle se retrouve désoeuvrée et se sent inutile. Ou bien, il lui donne des tâches inappropriées pour ses qualifications, ses compétences. Il utilise la menace et le chantage pour lui imposer des heures supplémentaires excessives, pour lui supprimer ses congés, ses avantages. Il lui donne à exécuter des activités dangereuses pour sa santé. Il l'isole, sabote son travail, ignore ses certificats médicaux, les règles, la loi, ...etc. Il exige toujours plus de formations, impose des restructurations inefficaces, pour faire peur et dominer. Il peut faire éclater un groupe de travail en envoyant les gens à tous les coins du pays afin de diviser pour régner. 

2. Parasiter la communication :

Il isole la victime aussi pour ne plus lui donner d'informations ou pour lui communiquer de fausses informations. Il cherche à réduire sa résistance au stress, à l'affaiblir pour mieux la dominer et la détruire en réduisant ses liens sociaux. Il est interdit de lui parler, de lui communiquer des informations utiles sur l'entreprise. Il est interdit de la regarder. Il lui coupe la parole, ou parle d'elle, comme si elle n'était pas là, devant elle. Il refuse de s'excuser, de dialoguer et de se remettre en question. Il ne laisse aucune preuve de ses micro-violences. Il évite les réunions. Il change les règles de façon imprévisible ou ne définit pas de règles, puis il impose des règles rigides. Il ne dévoile rien sur lui, sur ses intentions, mais rend la victime responsable de tout. Il fait usage de messages paradoxaux pour rendre la victime confuse et l'empêche de prendre du recul, d'analyser et d'utiliser son esprit critique.

3. Porter atteinte à la dignité par des micro-violences répétées :

Ses paroles sont floues, jugeantes, dévalorisantes, humiliantes, culpabilisantes, moqueuses (se moquer d'un handicap, de singularités, faire passer la victime pour "folle" aussi). Il utilise la menace, les fausses urgences, le chantage, la minimisation de ses propres erreurs, la dramatisation des erreurs de la victime. Il met en dette la victime en l'achetant ou en lui offrant une protection pour l'exploiter et la détruire. Il crée des conflits pour terroriser. Il divise pour mieux régner. Il est dans le déni de ses responsabilités. Il met devant le fait accompli, ...etc. Son non verbal est violent avec la victime : crier, claquer des portes, pointer du doigt, casser des objets, serrer les poignets, ...etc.

D. La stratégie face au harcèlement du pervers narcissique :

1. Développer ses capacités de coping :

Certains repèrent très vite un harcèlement moral et peuvent y échapper en ayant les capacités de coping nécessaires : Ce sont les stratégies pour faire face à une situation difficile ou stressante.

Les stratégies émotionnelles permettent d'identifier et canaliser les émotions pénibles liées au harcèlement. Elles permettent de créer des émotions agréables pour s'apaiser par des contacts bienveillants, des expériences et des pensées positives. Faire de l'humour ou contre-manipuler par des paroles floues permet de se protéger émotionnellement. Faire préciser, mettre des limites, savoir se détendre, vivre dans l'ici et maintenant, en pleine conscience permet de s'ancrer et de réduire l'impact émotionnel du harcèlement. S'autoriser à demander du soutien émotionnel et exprimer ses émotions dans un cadre sécurisant, éviter l'agresseur et réévaluer positivement la situation, dédramatiser la situation en envisageant des solutions fait partie de ce type de coping.

Les stratégies de limites permettent de planifier, de prioriser, de se mettre des buts accessibles et réalistes, positifs et valorisants, ...etc.

Les stratégies de résolution de problèmes permettent d'identifier le besoin frustré, les émotions pénibles, de faire le récit de l'histoire et d'analyser les faits, de rechercher des informations pour élaborer un plan d'action et d'affrontement du problème, envisager des solutions les meilleurs pour soi. Ces stratégies facilitent la demande d'aide, d'apprentissage pour mieux communiquer, trouver des alliances pour se protéger, en parler à ses collèges et à ses proches pour être compris et soutenu, ...etc.

Les stratégies de retrait permettent de ne pas se laisser envahir par le vécu lié au harcèlement : mettre son tablier au vestiaire après le travail pour penser à des choses agréables, positives, belles et bonnes, se reposer, dormir, manger sainement, réduire les addictions, développer ses propres ressources pour augmenter l'amour, le respect, la reconnaissance de soi, la sécurité interne, des amitiés positives, ...etc.

2. Développer un style d'attribution équilibré :

Ceux qui disposent de capacités à développer un style d'attribution équilibré peuvent aussi mieux se protéger du harcèlement et du stress qu'il entraîne. Un style d'attribution interne trop important amène la victime à se sentir trop responsable des micro-violences ("Je dois être parfait. Si je suis harcelé, c'est que j'ai fait quelque chose de mal"), à vouloir changer le pervers narcissique ("Je suis responsable. Je dois l'aider à comprendre ses erreurs"), ce qui est peine perdue. Par contre, un style d'attribution externe trop important peut rendre la victime passive et lui faire croire qu'elle est impuissante face au harcèlement ("L'autre est tout puissant. Je suis impuissant").

3. Traiter le stress  ou le stress post-traumatique causé par les micro-violences :

La fréquentation d'un pervers narcissique crée un stress chronique chez la victime. Il se manifeste au niveau physique (sueurs, tremblements, tensions musculaires, palpitations, ...etc), au niveau émotionnel (peur, tristesse, honte, colère, dégoût), au niveau des pensées négatives sur soi et sur le monde. Le stress post-traumatique s'installe quand la victime n'est plus confrontée au danger de subir la relation, mais toujours perturbée par ce qu'elle a vécu (après un licenciement, durant le congé de maladie pour les séquelles du harcèlement). Il est présent chez beaucoup de victimes. Il se traduit par des manifestations émotionnelles, sensorielles, cognitives : honte, peur, terreur, désespoir, sueurs, tremblements, pensées négatives sur soi et le monde, ...etc. Il y a des séquelles visibles dans le comportement : troubles de la concentration, de la mémoire, du sommeil, de l'alimentation, addictions, hyperactivité, hypervigilance, dissociation, retrait, réactions de sursaut, agressivité, ...etc. Les séquelles apparaissent aussi dans les flash-backs, les réactions d'évitement, les souvenirs répétitifs, les ruminations mentales. Cela peut entraîner un burnout, une dépression, une perte de la capacité à travailler, une maladie psychosomatique liée au stress. Celui-ci est aggravé par le caractère imprévisible des agressions, car la victime a d'autant moins le sentiment de pouvoir contrôler la situation. Les traumatismes antérieurs, les antécédents personnels, familiaux, l'état physique et psychologique, le fonctionnement mental de la victime vont déterminer l'ampleur du stress post-traumatique.

Parfois, le stress post-traumatique survient bien après après le harcèlement, lorsqu'un événement similaire réactive le traumatisme que la victime a pu gérer auparavant. Si la victime a déjà vécu un harcèlement ou des violences précédemment, cela la vulnérabilise au niveau de sa perte d'estime de soi, de sa culpabilité, de son sentiment d'impuissance ou de son insécurité.

4. La stratégie des intervenants face au harcèlement du PN :

Les DRH peuvent observer les les dépassements de limites, analyser les enjeux, écouter la victime, établir les responsabilités de chacun, mettre des limites, sanctionner, réorienter vers un autre service la victime, le PN ou licencier le PN. Les psychothérapeutes peuvent travailler avec les victimes dans l'empathie, la bienveillance, l'interaction pour les aider à se protéger : apprendre à identifier et canaliser les émotions, apprendre à s'apaiser, à prendre soin de soi, à reconstruire l'estime de soi, déculpabiliser, renforcer les capacités à s'affirmer et à contre-manipuler. Les collègues jouent aussi un rôle dans le soutien qu'ils peuvent offrir à la victime. Un entourage social soutenant et positif peut réduire l'impact traumatique des micro-violences quotidiennes.

Prendre des mesures de prévention au sein de l'entreprise permet d'éviter l'effet néfaste du harcèlement d'un pervers narcissique pour son bon fonctionnement, au niveau relationnel et économique. Cet effet néfaste peut détruire une entreprise, faire perdre la confiance, la motivation, les capacités de performance, ...etc. Ces mesures sont, par exemple, d'améliorer les conditions de travail, apprendre aux employés la gestion du stress et des émotions, la communication non-violente et assertive, l'écoute empathique, une bonne capacité à gérer les conflits et à se confronter positivement.

La violence perverse doit être dénoncée, comprise pour aider les victimes, mais aussi la société à renforcer sa dimension humaine, ses capacités de résilience, de traitement des traumatismes, de gestion des conflits et d'évolution vers plus de paix et d'amour dans le monde.